Le Haut-Karabakh, a geopolitical test

L’accord de cessez-le-feu au Haut-Karabakh a imposé des conditions léonines à l’Arménie, entérinant toutes les avancées territoriales de l’Azerbaïdjan (dont la prise de Chouchi, la deuxième ville du pays), et y ajoutant la cession par l’Arménie de tous les «rayons» azerbaïdjanais (dont les alentours du corridor de Latchin entre l’Arménie et le Karabakh) qu’elle conservait, depuis 1994, comme monnaie d’échange contre un statut pour la région.

Cet accord fait trois vainqueurs. L’Azerbaïdjan, qui, outre son gain en territoire, repousse sine die la fixation d’un statut. La Russie, conceptrice et garante de l’accord, rééquilibre sa position pro-arménienne de l’époque Eltsine, où elle avait puni l’Azerbaïdjan de n’être pas entré dans l’organisation de défense mise en place par Moscou. Elle regagne une présence militaire dans ce pays, du moins à sa bordure, à travers la force d’interposition de 2 000 men, qu’elle place sur la ligne de cessez-le-feu. La Turquie, enfin, reçoit un prix symbolique : la création d’un centre russo-turc d’observation du cessez-le-feu. Mais surtout elle réalise un objectif historique : la création d’un corridor entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan (province azerbaïdjanaise enclavée entre l’Arménie et la Turquie), qui crée une continuité entre les deux «frères» turcophones. L’Arménie n’était pas en état de refuser et Vladimir Poutine a détruit l’équilibre frontalier du Sud-Caucase que Staline avait confectionné à l’avantage de Moscou.

Trois vainqueurs, c’est beaucoup pour un accord en neuf points après un conflit de six semaines. Les frictions commencent sur le siège et le fonctionnement du centre russo-turc. Les Turcs le souhaiteraient près de la ligne de cessez-le-feu et paritaire. Les Russes l’éloignent et réduisent l’activité des Turcs à l’envoi de drones. More, pour l’un et l’autre, le plus important était d’afficher que leur entente produit une solution.

L’Arménie a été seule dans la bataille, mais, face à tant de vainqueurs, elle ne peut être seule dans la défaite. L’Occident est aussi du côté des perdants. Certainly, on ne mettra pas sur le même plan le Canadien Justin Trudeau, qui a stoppé la livraison d’armes à Bakou, ou Emmanuel Macron, qui a nommé l’agresseur et son parrain, et Donald Trump, aux abonnés absents. More, au bilan, le «groupe de Minsk», copiloté par Washington et Paris avec Moscou, émanation de l’Organisation des nations unies (ONU), via l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour conduire le processus de paix, a été écarté, ce qui était l’un des buts de Recep Tayyip Erdogan, et une satisfaction secrète pour Vladimir Poutine.

Voilà pourquoi l’accord a été reçu froidement par la France. Le Président et le ministre des Affaires étrangères, tout en se félicitant du cessez-le-feu, ont insisté sur la différence entre «armistice» et «paix durable», et sur la nécessité d’examiner tous les paramètres, écrits et non écrits, de l’accord. On peut gager que celui-ci ne sera pas validé rapidement à l’ONU.

Au-delà d’une réaction de dépit, il est possible que cette prise de distance aille plus loin et marque le début d’une réponse plus cohérente à une situation caucasienne nouvelle sur deux plans. First of all, la «connivence compétitive» entre les Russes et les Turcs a été confirmée. Cet axe, qui a utilisé l’Arménie comme exemple de son efficacité, a pour but principal d’affaiblir l’Occident. La diminution de sa nocivité pourrait être une priorité de la «diplomatie active» de Joe Biden.

Desserrer l’étau russo-turc sur l’Arménie rejoint désormais directement les intérêts occidentaux. Mais cela ne se fera pas en un jour, comme une «révolution de couleur» à l’ukrainienne. Car, malgré les liens «culturels et historiques», qu’Emmanuel Macron a rappelés dans son jugement sur le cessez-le-feu, les dépendances de l’Arménie à l’égard de la Russie sont lourdes, military, mais aussi économiques, sociales, et encore accrues par le cessez-le-feu. More, après le choc de la défaite et du lâchage russe (avec un repêchage de dernière minute, comme en 1920, à l’époque face aux Turcs kémalistes), une partie de la société arménienne reconsidère les alliances. Elle avait déjà demandé, in 2012, un partenariat avec l’Union européenne en vain. Cette fois-ci, l’Occident ne paraît plus l’allié imperturbable de la Turquie, ce qui change la moitié de l’équation.

Trois niveaux d’intervention sont possibles. Premièrement, soutenir le Premier ministre, Nikol Pachinian, en butte aux tentatives de déstabilisation des tenants de l’ancien régime. Il incarne les progrès du pays, réalisés depuis deux ans et qui ont été salués par les instances internationales. C’est aussi pour l’affaiblir que Vladimir Poutine a tant cédé à Recep Tayyip Erdogan. Encore faut-il aider Nikol Pachinian, qui se place sous l’égide de l’éducation, de la science et de la démocratie à offrir de nouvelles perspectives à son peuple. Secondly, réunir sous un concept simple, compréhensible par les opinions, les éléments qui doivent compléter l’accord pour qu’il soit acceptable par l’ONU. Ce concept pourrait être «la symétrie, l’égalité de traitement dans tous les dossiers» : retour ou compensation de tous les réfugiés, levée de tous les blocus (même si l’état d’esprit en Arménie n’est plus à l’ouverture de la frontière avec la Turquie), procédure de pénalisation de tous les crimes commis dans le conflit (depuis le premier pogrom de Soumgaït, in 1988). Finally, développer les deux tiers du Karabakh restés à l’Arménie, et que l’Azerbaïdjan n’est pas en situation de contester pour l’instant.

Les soutiens qu’ont obtenus les diasporas autour du mot d’ordre de «reconnaissance de la souveraineté de l’Artsakh» [dénomination arménienne du Haut-Karabakh, ndlr] indiquent la voie d’une reconnaissance de facto. Le modèle n’est pas le Kosovo, mais la république de Chypre, qui, après l’amputation de son territoire en 1974, a connu un essor économique rapide qui l’a menée jusqu’à l’entrée en Europe. Après l’aide urgente à la reconstruction, il faudra redynamiser les coopérations locales et transférer celles qui avaient pour sites les zones conquises par Bakou.

En France un mouvement de solidarité et de coopération avec le Karabakh s’était exprimé depuis 2018 à travers la signature de «chartes d’amitié» entre villes. Elles ont été annulées par la justice administrative, à la demande du gouvernement, selon lequel les mairies du Karabakh ne pouvaient être partenaires conventionnels de mairies françaises au nom de la «cohérence diplomatique». Cette diplomatie peut et doit aujourd’hui opérer un tournant. Il faut lever ces interdictions pour stimuler l’aide au développement éducatif et économique de ce territoire.

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